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Tierno Monénembo, Le Terroriste Noir, roman, 220 pages, Seuil, août 2012, 17 € *****

Publié le par Sébastien Almira

 

ATTENTION COUP DE COEUR !

 

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De Monénembo, je n'avais rien lu. À vrai dire, rien de son œuvre ne me donnait envie. C'est sur les conseils d'autres libraires dont c'était le coup de cœur de la rentrée que j'ai emprunté son nouveau roman, Le Terroriste Noir. Et je n'ai pas été déçu ! Avec Les Immortelles de Makenzy Orcel, il s'agit pour moi des deux meilleurs romans de la rentrée, pour l'instant.

 

« Le nègre mangea le fromage et le poulet, vida la bouteille de Contrexéville mais refusa obstinément la cochonnaille et le vin. L'Étienne faillit lui dire : « On ne fait pas le difficile dans l'état qui est le vôtre. », mais il s'en dispensa. Il pensa que c'était à cause de la compassion que lui inspirait cette situation aussi désolante qu'inattendue, il comprendrait plus tard que c'était parce qu'il venait de rencontrer l'homme le plus inoubliable de son existence. » page 17

 

Le nègre était un soldat guinéen enrôlé dans l'armée française pendant la Seconde Guerre mondiale. Un tirailleur Sénégalais, comme on les appelle. Le gros de l'histoire se passe à Romaincourt, dans les Vosges, un « bled perdu où rien ni personne n'arrivait, même pas les bombes, même pas les chiens des Boches, même pas la rumeur du monde. » (page 97) Là, le soldat noir est recueilli après avoir fui. Ce n'est d'ailleurs que lorsqu'il raconte la bataille dans laquelle il fut capturé par les Allemands, avant de s'évader, qu'on apprend son nom, qu'au bout de quatre-vingt pages qu'Addi Bâ devient quelqu'un. Amadou Hady Bah, ou encore Addi Bâ Mamadou, est un véritable héros oublié de la Résistance, auquel Tierno Monénembo rend ici un magnifique hommage.

La narratrice venait de voir le jour et, soixante ans plus tard, elle raconte toute l'histoire au neveu du soldat noir, par bribes. Parfois elle parle au neveu (« vous savez... »), puis elle se replonge vite dans le cours de sa mémoire, revivant comme à l'époque l'histoire de celui qu'elle a fini par aduler. Celui-là même qui réchappa aux Allemands par trois fois, qui créa un des premiers maquis de la région, et qui en mourra.

Car elle ne raconte pas tout dans l'ordre, mais au fil de ses souvenirs. Elle se souvient d'un détail, elle anticipe une action, mais elle en viendra à tout dévoiler de cette affaire qui a secoué Romaincourt, de cet homme qui a donné son nom à une rue du village.

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Addi Bâ

 

Après une scène touchante où la narratrice emmène un petit juif à la Grande Mosquée de Paris pour le faire protéger et où ce dernier annonce « Hâtons-nous lentement » à l'Arabe qui ouvre la porte (des centaines de juifs auraient été sauvés des nazis grâce à la grande Mosquée de Paris) :

« J'ignorais que de simples mots avaient le pouvoir magique d'un sésame. Je ne savais pas que le monde se résumait souvent à des barrières et à des mots de passe. C'était le désastre, Monsieur. Survivre représentait déjà en soi un acte de résistance. Sauver sa peau revenait à sauver les autres, tous les autres.

Mais ça, c'est quelque chose que l'on ne comprend pas tout de suite. Il faut attendre la fin du cauchemar, que tout s'arrête : la famine et la peur, les parades militaires, le vacarme des trains, le déluge des bombes. Et c'est seulement lorsque les vallons ont repris leurs couleurs que vous réalisez à quoi vous venez d'échapper, et combien une parole, un geste insignifiant concourent à préserver la vie. Même moi, Monsieur, j'avais fait de la résistance à mon insu et sans l'avoir demandé. » page 157

 

Le choix de dévoiler des moments de l'histoire, des détails, des indices au gré des envies de la narratrice permet une construction, sans être originale, différente des récits habituels sur la guerre, et qui permet un suspense et une envie de tourner la page assez importants. Qui sont ces femmes dont le soldat partage les nuits ? Comment les deux familles de Romaincourt en sont venues à la haine ? Qui a dénoncé Addi Bâ ? De plus, le Prix Renaudot pour Le Roi de Kahel s'intéresse ici à un pan de la Seconde Guerre mondiale assez méconnu.

Mais ce qui m'a le plus plu, c'est qu'il ne fasse pas de son projet un récit historique, un essai sur la résistance et sur les tirailleurs sénégalais. C'est qu'il ne verse pas dans le pathos. J'ai eu un petit pincement au cœur à la fin alors que je savais pertinemment depuis le début que le soldat noir allait mourir. La narratrice raconte, elle fait vivre Addi Bâ encore une fois, mais elle n'en fait pas des tonnes. C'est bouleversant sans être larmoyant, sombre sans être glauque et puissant sans être grandiloquent.

J'ai été emporté dans ce roman magnifique comme rarement et je suis sûr que vous ne serez pas déçus non plus !

 

monenembo2.jpgTierno Monenembo

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