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Adeline Dieudonné, La vraie vie, roman, 300 pages, L'Iconoclaste, août 2018, 17 € ****

Publié le par Sébastien Almira

Adeline Dieudonné, La vraie vie, roman, 300 pages, L'Iconoclaste, août 2018, 17 € ****

En cette rentrée littéraire 2018, vous découvrirez chez vos libraires quasiment une centaine de premiers romans. Oui, oui ! 94 sur 567 nouveautés pour être tout à fait exact !
Il n'est donc pas étonnant de trouver nombre de premiers romans dans les premières sélections de prix (4 sur 15 pour le Goncourt). Et si rien n'est joué, on peut tout de même remarquer la présence de la primo romancière Adeline Dieudonné sur la liste du Goncourt et du Renaudot.
 MAJ le Prix du Roman Fnac vient de lui être décerné !
Je vous livre mon avis sur cette détonnante entrée dans le monde des lettres.

« À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres. » page 7

Elle a dix ans et lui 6 quand le roman commence. Ils sont très proches, toujours fourrés ensemble.
Ils vivent dans un lotissement, une succession de pavillons de banlieue identiques jusqu'à la couleur du crépi. Ils échappent quotidiennement au propriétaire de la casse à côté du petit bois des Petits Pendus, leurs deux terrains de jeu favoris et, chaque jour, dès que retentit la Valse des fleurs de Tchaïkovski, Gilles prend une boule vanille et une fraise à la camionnette du marchand de glace et elle une chocolat et une stracciatella avec de la chantilly qu'elle mange le plus vite possible avant que son père ne voit la crème sur son cornet.
Dans la chambre des cadavres sont exposés les trophées de chasse du père, personnage bourru, violent, néfaste, qui cogne sa femme lorsqu'il est contrarié. « C'était un homme immense, avec des épaules larges, une carrure d'équarrisseur. Des mains de géant.(...) En dehors de la chasse, mon père avait deux passions dans la vie : la télé et le whisky. » page 9
La mère est appelée « l'amibe ». Elle est là sans être là. Il a bien fallu qu'elle accouche et qu'elle prépare les repas. « En grandissant, je me suis aussi demandé comment ces deux-là avaient conçu deux enfants. Mon frère et moi. Et j'ai très vite arrêté de me poser la question parce que la seule image qui me venait, c'était un assaut de fin de soirée sur la table de la cuisine, puant le whisky. Quelques secousses rapides, brutales, pas très consenties et voilà...
La principale fonction de ma mère était de préparer le repas, ce qu'elle faisait comme une amibe, sans créativité, sans goût, avec beaucoup de mayonnaise.
» page 11

Et un jour un accident violent vient faire bégayer leur vie. Gilles ne rit plus, ne parle plus, ne joue plus, il se renferme sur lui-même, envahi par quelque chose d'effrayant. Et elle n'aura de cesse de vouloir revenir en arrière pour chasser ce qu'elle nomme la bête et retrouver son petit frère.

Le récit de cette famille morne, rangée, bancale mais banale se transforme quasiment en roman noir. L'atmosphère est inquiétante, sauvage. La narratrice apporte un peu de lumière et de sensualité au roman et, coincée entre l'amibe et le bourreau, doit chercher elle-même des figures positives et bienveillantes alors que tout se chamboule en elle, son corps, son cœur.
Les phrases claquent, il y a quelque chose dans la simplicité des mots de violemment désarmant. On termine une phrase et on se sent petit face à tant de simplicité et tant de sens à la fois. On a presque le souffle court tant chaque mot, chaque phrase, est à sa place. Implacable.
Une claque, la vraie vie...

« Sa physionomie continuait de se modifier. Il n'avait plus rien d'un petit garçon. Il avait huit ans et sa chimie interne avait muté. J'étais certaine que c'était la vermine qui poursuivait son travail de pollution. Même son odeur n'était plus la même. Comme si son parfum avait tourné. Il dégageait quelque chose d’inquiétant, c'était subtil, mais je le sentais. Ça sortait de son sourire. Ce que j'appelais son nouveau sourire. Une grimace qui disait « fais encore un pas vers moi et je te bouffe la gueule. »
Le sourire de mon frère puait.
 » page 129

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