Tahar Ben Jelloun, L'insomnie, roman, 260 pages, Gallimard, janvier 2019, 20€ *
De Tahar Ben Jelloun, j'avais lu Partir il y a quelques années, que j'avais trouvé plutôt bon.
De Tahar Ben Jelloun, je sais qu'il est membre de l'Académie Goncourt, qu'il est publié à la prestigieuse collection Blanche chez Gallimard depuis des années.
De Tahar Ben Jelloun, je sais qu'on parle d'un grand écrivain.
Quelle n'a pas été ma surprise en débutant ma lecture de L'insomnie.
Le scénario m'a attiré dès que la représentante Gallimard m'en a parlé, ce que je savais de lui a fait le reste.
Grand insomniaque, un scénariste de Tanger découvre que pour enfin bien dormir il lui faut tuer quelqu'un. Sa mère sera sa première victime. Hélas, avec le temps, l'effet s'estompe... Il doit récidiver. Plus la prise est grosse, meilleur est le sommeil. Mais jusqu'où aller ?
Un temps, le scénario tient la route, on se demande ce qui se passera au prochain chapitre. Sans aller jusqu'à parler de suspense insoutenable, on veut connaître la suite, la fin. Ce n'est pas des plus original, mais pour un roman « décalé » par un auteur censé être plutôt « classique », ça commence bien.
Ma surprise vient d'ailleurs.
« Le Pointeur était inattaquable (1) DANS LA MESURE OÙ il ne forçait personne à venir chez lui. Ce petit mec, maigre et obséquieux, s'arrangeait pour demeurer hors d'atteinte (2). Seul mon frère avait osé poursuivre en justice ce pervers qui, on allait le découvrir, était protégé (3) par la police parce qu'il la renseignait sur certains opposants politiques au régime de Hassan II. Sa plainte avait vite été classée malgré les efforts d'un avocat sérieux, qui avait dû renoncer tant le Pointeur était un indic intouchable du régime (4). » page 25
J'espère que vous avez bien compris combien le Pointeur était inattaquable, hors d'atteinte, protégé et intouchable. Sinon, Tahar Ben Jelloun vous passe un coup de fil et il vous le répète. Et si besoin vous laissez votre adresse et votre mail, il vous refera un point.
« DANS LA MESURE OÙ » : mais quel auteur de littérature doté d'un sens un minimum aiguisé de la langue française, de sa beauté, peut utiliser cette expression sans jeter son manuscrit à la poubelle ? Mes yeux en saignent. J'en fais trop ? Au temps pour moi, je me laisse influencer par sa poésie transcendante que vous pourrez lire quelques lignes plus bas.
« Il a poussé un cri que j'ai vite étouffé avec un tissu que j'ai enfoui dans sa bouche » page 28
Là, c'est pareil, il convenait de préciser que le scénariste avait enfoncé le tissu dans la bouche au cas où vous pensiez que l'on pouvait étouffer un cri en enfonçant un tissus dans la poche ou dans les fesses de la victime.
De plus, vous remarquez la lourdeur de la phrase avec toutes ses propositions en un minimum de mots. Tantôt c'est lourd, tantôt c'est académique, scolaire, banal. Sujet verbe complément, adverbe parfois.
« Nuits blanches, nuits sèches, sans rêves, sans cauchemars, sans aventures. Nuits tristes. Nuits étroites, étriquées, réduites à quelque souffrance. Nuits inutiles, sans intérêt, sans saveur. Nuits à oublier, à jeter dans la poubelle. Nuits sans vergogne. Nuits de bandits, de truands, de salauds. Nuits sales, perverses, hideuses. Nuits indignes du jour, du soleil, de la lumière et de la beauté du monde. » pages 36-37
Et tantôt, il en fait trop. La quatrième de couverture annonce un écrivain, un poète, un peintre. Cette successions de nuits n'a rien de poétique, c'est lourd, pauvre, « inutile, sans intérêt, sans saveur », pour reprendre ses mots.
Certaines scènes sont proches du ridicule, comme celle où le scénariste tue un baron de la drogue sur son propre yacht avant que les gardes armés ne le laissent partir sans rien dire.
Comme celle du comptage de points crédits sommeil. Page 84, il estime avoir gagné 72 mois de sommeil, 6 ans de tranquillité, en faisant un calcul précis. Sans que l'on sache combien de temps a passé entre le début du roman et ce décompte, ni entre ce décompte et la page 94 où :
« Sur le chemin du retour, je recomptais machinalement mes points crédits sommeil quand j'ai découvert avec horreur que j'en avais perdu énormément. Comment et quand cela avait-il pu se produire ? Aucune idée. Un vol, une absence, une négligence ? (mon dieu, quel suspense ! ndlr) Je me sentais comme victime d'un cambriolage. (…) Quelque chose n'allait pas.
Arrivé chez moi, je suis parti me mettre au lit immédiatement (phrase exquise, ndlr). J'ai essayé de m'assoupir, mais rien. Mes points avaient réellement tous disparu. Pour quelle raison ? Leur date de péremption était-elle dépassée ? »
Comment ne pas saisir le ridicule de ce passage ?
On est toujours « le lendemain », « quelques jours après », on ne sait jamais bien où en est la temporalité du roman. On sait seulement que cela fait un an que son acolyte Tony est parti, mais Tony est parti page 67, donc moins d'un an après les fabuleuses nuits de sommeil comptées, le héros n'a plus de points crédits sommeil ! Pire ! Il aurait été cambriolé, on lui aurait volé ses nuits !
Sérieusement ?
Donc nous allons procéder comme ce grand écrivain : de manière très scolaire, jusqu'à ce que ça rentre, et avec des mots simples, des tournures de phrases simples, des phrases courtes.
1/ Je sais désormais que Tahar Ben Jelloun écrit comme un élève de troisième. De ceux qui ne font pas de faute, certes, mais comme un collégien quand même : le plus simplement possible.
2/ Je sais désormais que Tahar Ben Jelloun ne se relit pas, que Gallimard ne corrige pas son texte (à moins que le grand écrivain refuse qu'on touche à ses écrits), que les lourdeurs et les répétitions sont laissées là par tous les lecteurs, relecteurs, correcteurs, éditeurs, du texte.
3/ Je sais désormais que Tahar Ben Jelloun n'a pas peur du ridicule. À moins qu'il ne pense que personne ne s'en rendra compte, ce qui m'amène au dernier point.
4/ Je sais désormais que Tahar Ben Jelloun se permet de prendre ses lecteurs (qui payent 20€) pour des imbéciles.