Chuck Palahniuk, Snuff, roman, 210 pages, Sonatines, septembre 2012, 16,50€ ***
ATTENTION COUP DE COEUR !
Après deux coupes de champagne et trois verres de vin, j'écris enfin mon article sur Snuff. Il fallait bien ça pour parler du nouveau roman choc de Chuck Palahniuk sans penser qu'on allait me prendre pour un pervers aussitôt que je l'aurais publié.
Car, oui, après avoir descendu en bonne et due forme Christine Angot et ses souvenirs d'enfance incestueux, voilà que je vais vous dire du bien d'un snuff book américain.
Mais avant tout, quelques rappels s'imposent. D'abord, Chuck Palahniuk, derrière un nom rustiquement kitch, est tout de même l'auteur culte de Fight Club, qui était un livre avant d'être un film. Ensuite, le snuff movie, c'est une sorte de légende urbaine. Avant le fêlé qui a récemment filmé le meurtre d'un étudiant asiatique, on n'avait aucune preuve qu'un vrai snuff existât. Le principe fait froid dans le dos, puisqu'il s'agit de filmer un vrai meurtre précédé de torture, voire de viol. Une fois ces bases posées, on peut commencer.
Cassie Wright, star du porno sur le retour, décide de terminer sa carrière « en beauté » en jouant dans le plus gros gang-bang jamais organisé. En une nuit, ce sont pas moins de six-cent hommes, jeunes ou vieux, beaux ou moches, obsédés ou inexpérimentés, appelés par groupes de trois, à raison d'une minute chacun, qui vont littéralement lui passer dessus afin qu'elle batte le record du monde de partenaires en une seule fois. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Car, si certains sont venus pour le plaisir de se taper la célèbre porn-star, d'autres ont une idée bien précise derrière la tête.
Pour mener son récit, l'écrivain fait intervenir quatre personnages à tour de rôle : le numéro 72, un jeune puceau qui a des choses à mettre au clair, le numéro 137, un comédien sur le déclin que son producteur a envoyé ici pour remonter la pente et accessoirement fou amoureux de la Cassie Wright, le numéro 600, l'acteur porno qui a fait débuter Cassie dans des conditions pas tout à fait exemplaires, à présent quelque peu décati, et Sheila, l'assistante. Le gros de l'histoire se passe dans la salle d'attente, où l'orgie est d'ordre alimentaire : chewing-gums, chips, bonbons, sodas, préservatifs (oui, oui, il y en a qui mâchent de la capote comme d'autres un brin de paille, mais on n'est pas chez Pagnol ici) se confondent dans un joyeux bordel de transpiration et de saleté.
C'est là que les hommes attendent leur tour et que Chuck Palahniuk dévoile les rouages de son scénario. Implacable. Avec suspense et rebondissements, indices et retournements de situation. Le lieu enlève au roman le glauque qu'on imagine dès le résumé. En effet, si l'on assiste à quelques scènes dans la chambre sacrée, on reste surtout à l'extérieur à imaginer ce qui se passe en haut de l'escalier, à mater les films qui ont fait le succès de Cassie et à découvrir les prémices de l'histoire, les débuts du sex-toy (saviez-vous que le vibro-masseur fut l'un des trois appareils électriques dont ont joui les Américains ?), l'histoire du film porno, les records à battre et les doutes à abattre.
D'un écriture efficace, sans détour et sans concession, Chuck Palahniuk signe un polar trash, subversif et presque malsain qui vous fera, au choix, vous arracher les cheveux comme ma collègue devant « un livre glauque et sans intérêt » ou bien vous délecter d'un thriller pornographique détonnant.
« Ces trayeurs de poireaux. L'un d'eux me fait signe d'approcher, en repliant ses doigts vers lui comme s'il hélait une serveuse dans un restau. Je le quitte pas des yeux. Me dirige vers lui. Ce loser lève l'autre main, écarte les doigts pour me montrer le billet de cinquante qu'il tient dans sa paume. Le billet tout mou et transparent à cause du beurre de cacahuète. Détrempé par l'eau en bouteille. Des taches grasses de rouge à lèvres à un bout. Le loser glisse le bifton sur mon écritoire et dit : « regarde bien ta liste, chérie, et tu verras que je suis le prochain... » Un pot-de-vin. » page 27, Sheila.
« Je dis au jeunot : « n'espère pas qu'elle sera aussi sexy. »
Les yeux du 72, marron clair, comme les miens autrefois.
La fille là-haut (film passant sur les écrans de la salle d'attente), qui est en train de sucer le clito de Boodles Absolut, disait qu'un jour elle allait diriger l'industrie. La jeune et douce Cassie Wright, la façon qu'elle avait de dire ça, comme s'ils étaient tous à la merci de sa langue.
Mais quand je regarde autour de moi, ce regroupement disparate de fions qu'on appelle aujourd'hui comme du bétail, je dirais que sa carrière a plutôt suivi la trajectoire inverse. » page 33, Mr 600.
« Je ramonais Cassie Wright à fond, et la fille au chrono a dit « fini. »
(…) Je l'ai prise en levrette, à quatre pattes, mes mains refermées sur la peau de son cul mouillé et détendu et j'ai entendu Cassie Wright dire « Virez-moi ce petit salaud ! »
Des mains se sont emparées de moi par derrière. Des doigts ont arraché mes doigts à ses cuisses. Des types m'ont tiré en arrière jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que ma bite en elle, je me suis cabré, mon gland encore en elle, puis il est sorti, et ça a giclé en un long ruban blanc sur ses fesses.
À l'autre bout de son corps, la bouche de Cassi Wright a dit : « Vous filmez bien ça, hein ? »
Le réalisateur a dit : « On le garde pour le trailer, celui-là. » Il a bu un peu de jus d'orange à la paille coudée et a dit : « Attention, petit, tu vas finir par nous noyer. » page 179, Mr … (surprise !)