Claro, Tous les diamants du ciel, roman, 240 pages, Actes Sud, août 2012, 20 € ***
Figure littéraire impressionnante, Claro n'a pas peur des projets d'envergure. Traducteur de William T. Vollmann, Salman Rushdie, Hubert Selby Jr ou encore Thomas Pynchon, il codirige également la collection Lot 49 au Cherche Midi. Autant dire que l'homme n'est pas une pâle figure littéraire sans envergure. Ses romans sont de véritables mondes dans lesquels on ne pénètre pas par hasard : il faut l'avoir choisi.
J'avais d'ailleurs écourté mon séjour en Cosmoz, il y a deux ans, malgré un sujet passionnant (les personnages du Magicien d'Oz se retrouvaient projetés dans le vingtième siècle et le traversaient de long en large, de guerre en révolution, de misères en richesses). Mais pourquoi diable avoir laissé tomber, me direz-vous ! Et bien parce que Claro est un monstre littéraire qui n'hésite pas à vous perdre au détour d'une phrase inimaginable ou d'une scène incompréhensible.
N'allez pas croire que c'est un piètre écrivain, au contraire. Et c'est même là le problème : Claro écrit trop bien. Proposer au lecteur une phrase que le commun des mortels aurait pu écrire n'est pas dans ses objectifs. Il se vautre en revanche sans hésiter dans la surenchère de vocabulaire soutenu et de syntaxe poétique au possible. Mais attention, pas de la poésie pour fillettes. Non, de la poésie pour mâles. De la poésie puissante et parfois violente.
Et il faut s'accrocher. Il faut avoir envie de continuer l'aventure, de poursuivre la lecture.
Un peu d'histoire, voire d'Histoire. Propulsé dans le siècle du LSD et de la guerre Froide après avoir mangé un morceau de pain pendant l'été 1951 à Pont-Saint-Esprit, Antoine, un jeune mitron, va découvrir un monde où l'improbable est réel et le réel improbable, et entamer un chaotique et convulsif voyage au terme duquel il échouera dans un Paris post-68. Là, il rencontrera Lucy Diamond, une ex-junkie américaine, liée malgré elle à la CIA.
Sexe, drogue et rock'n'roll sont au programme de ce thriller psychédélique au déroulement et au dénouement plus que surprenants.
Déjà, ça laisse pantois, mais attendez la suite ! Par exemple, une description, chez Claro, ça ressemble à ça :
« Il aimait autant le frisson des chenilles sur ses jambes que l'odeur d'amidon dispensé par les surplis, suçait avec le même ravissement le brin d'herbe acide et l'hostie consacrée. Se recueillir parmi les siens ou dévaler des coteaux lui apportait une quiétude semblable. D'où lui venait sa grande taille, ses épaules qu'on sentait de bois vert, cette tignasse impropre aux peignes et aux caresses et la manie qu'il avait d'écraser ses lèvres du tranchant de la main, en plissant des yeux un peu trop gris, pas plus lui qu'un autre ne le savait, et puisque les gestes voyagent aussi bien entre les générations qu'à la faveur des fréquentations, il n'attribuait à ses traits aucun devoir de continuation et, partant, nul caractère sacré. Il s'imaginait composé de peu de chose, façonné plus par l'indifférence d'autrui que par l'absence de géniteurs. » page 22
Pour dire simplement qu'une fille se refuse à lui et qu'il la voit s'éloigner dans la rue, tue qui finit par s'éloigner à son tour, il écrit : « Il tombe à ses pieds qu'elle lui refuse, le laissant aussi vautré qu'un chien, sa morve déjà sèche dans la poussière dérangée, devant lui les mollets de la fille s'amenuisent et s'unissent dans la ruelle, la ruelle qui n'est plus qu'un fil tendu vers le ciel où se chevauchent les toits. » (page 176). Il préfère user de stratagèmes, de figures, de métaphores, pour ne pas succomber à la facilité, utiliser un détail pour faire comprendre l'action qui l'englobe...
Vous l'aurez compris, lire Claro n'est pas de tout repos. J'ai dû admettre que je ne comprendrais pas tout, que je serais incapable d'écrire pareilles phrases (de toute beauté ? ampoulées ?), que je devrais faire face à la puissance verbale de celles-ci et que j'irais au bout malgré tout. Et je ne regrette pas. Je ne le considère toutefois pas comme le roman de la rentrée, mais ce fut une expérience de lecture inhabituelle pour moi. J'en suis arrivé à la conclusion que lire Claro c'est exigeant, magnifique et éprouvant. Le troisième adjectif et le fait que l'intrigue soit originale mais pas transcendante à mon goût, explique les trois étoiles après tant de compliments. Je ressors de cette lecture lessivé et n'enchainerais pas deux de ses livres, mais je retenterais peut-être Cosmoz un jour.
Merci à Élodie Cédé des éditions Actes Sud pour l'envoi de ce livre !
« Les personnes qu'il croise ne sont plus qu'une galerie de grimaces, et leur démarche semble celle de ministres découvrant dans le journal le portrait de leur maitresse décapitée. Les femmes voisines, délaissées par leur janissaire, ont lâché sur la ville un harem de canetons et de porcelets, que les eaux du Rhône finissent par ensorceler puis noyer, culs blancs et ventres roses dérivant en bonne intelligence. Déjà quelques reporters de Lyon – et même de la capitale ! – montrent patte blanche et carte tricolore, ils s'accoudent au zinc avec des airs d'exilés hésitant à demander l'adresse du bordel le plus proche, jetant des quignons aux pigeons puis les photographient avec leur Rolleiflex, presque étonnés de ne pas les voir se transformer en vautours. » (page 47)