Mylène Farmer, Désobéissance, 12 titres, septembre 2018, Stuffed Monkey, #NP, Sony, CD 16€, digipack 20€, double vinyles 25€, coffret collector 60€ *****
Je suis fan de Mylène Farmer depuis qu'elle a chanté Optimistique-moi aux premiers NRJ Music Awards en janvier 2000. Il y a plusieurs « périodes artistiques », plusieurs virages, dans sa carrière :
1984-1992 : les trois premiers albums, assez sombres, on parle à l'époque de variété chic et choc. C'est la période qui met tout le monde d'accord, quasiment tous ses tubes en font partie (Libertine, Sans contrefaçon, Ainsi soit-je, Pourvu qu'elles soient douces, Désenchantée, Je t'aime mélancolie)
1995-1997 : premier virage, Mylène s'américanise, le son est plus rock, l'univers plus solaire, presque niais, le personnage résolument féminin et sexy (XXL, L'instant X, California, Rêver)
1999-2016 : deuxième virage, elle se lance à corps et âme dans les années 2000 avec le fameux mélange de pop, d'eurodance et de variété qu'on lui connaît. Qu'elle retrouve ses démons ou qu'elle les fuit, elle est femme fatale et s'enferme dans un univers qui perd le grand public sans trop se renouveler malgré l'infructueux essai avec l'album Bleu noir. (L'âme-stram-gram, Je te rends ton amour, Les mots, C'est une belle journée, Appelle mon numéro, C'est dans l'air, Oui mais non, etc.)
2018 : troisième virage, « dark et sexy » comme elle aime le dire.
Je la découvre donc pendant le virage qui amorce la plus longue partie de sa carrière, c'est la première fois cette année que je « vis » un virage dans sa carrière (je ne compte pas la surprise du cheap Oui mais non, qui a cependant le mérite d'être devenu un tube).
C'est la première fois que je suis réellement surpris par ce qu'elle propose musicalement. Bien entendu, comme tous les fans, j'étais tout émoustillé en entendant les premiers accords de C'est pas moi en 2015 qui nous rappelaient les riffs de guitare des Daft Punk alors qu'il s'agissait seulement, soyons réalistes, du premier son moderne dans son répertoire depuis 1999, surtout après la soupe euro-dance servie par Laurent Boutonnat dans l'album Monkey Me (critique ici).
Désobéissance, c'est l'album que j'attendais depuis des années. J'ai (plus ou moins et pour des raisons différentes) aimé les albums précédents mais, à part Point de suture en 2008, Mylène Farmer ne m'a jamais entièrement comblé en studio. Je voulais du Mylène Farmer, comme avant, mais plus moderne, je voulais du changement, du risque, des escapades, des mélodies diaboliques et des balades somptueuses. Il y a bien eu quelques titres depuis 99 (Porno Graphique en 2006, M'effondre, Leila, Diabolique mon ange en 2010 en tête) qui m'ont ébloui, mais pas d'album.
Après neuf mois d'attente fébrile depuis Rolling Stone (on n'a jamais langui aussi longtemps entre un lead single et un album...), je vous livre mon compte-rendu de ce onzième disque, composé avec Feder (7 titres), LP et Mike Del Rio (2 titres) et le jeune et mystérieux Léon Deutschmann qu'une majorité pense être un pseudonyme de Laurent Boutonnat (3 titres).
Annonce de la sortie de l'album en dévoilant la pochette sur 228m2 visibles depuis le périph' parisien
ROLLING STONE (Feder)
Contrairement à beaucoup de fans, j'ai adoré découvrir ce titre, à minuit, sous la couette, perplexe et ébahi à la fois. Étonné de ses graves, de la manière étrange de poser sa voix, de cette compo electro aux influences musique du monde, ce mélange de français et d'anglais parfois incompréhensible, de ces chœurs qui pourraient faire tâche à son âge. Mais wow, je me dis qu'elle a enfin trouvé la bonne personne pour un son résolument moderne, « dark et sexy » comme elle le souhaitait, qui reste du Farmer tout en étant radicalement différent et qui soit percutant. Merci Feder, j'adore !
SENTIMENTALE (Feder)
Troisième titre dévoilé une semaine avant la sortie de l'album comme un cadeau et qui fédère (sans mauvais jeu de mots) finalement plus les fans que les deux premiers singles. Une ritournelle pop-dance entraînante et entêtante, c'est sympathique, c'est du Mylène, mais c'est facile et en l'écoutant la première fois, j'espérais que l'album ne ressemblerait finalement pas à ça. J'aime beaucoup les couplets le côté positif et enjoué. « Yes l'âme en vrac où que j'aille, détail fatal, je crois en la vie »
DÉSOBÉISSANCE (Léon Deutschmann)
Énervé à chaque nouveau commentaire de fan ayant écouté l'album avant sa sortie officielle, je ne peux m'empêcher de parcourir Mylène.net à la recherche des différents avis. Cette chanson est sur toutes les lèvres. Je m'attends, fébrile, au tube de l'album, celui que tout le monde espérait. Pour un fan, effectivement, tout y est mais c'est justement une chanson pour les fans. Les aigus des refrains pas assez énergiques vont énerver le grand public. C'est un mélange de Consentement, Devant soi et Réveiller le monde servi sur une compo hyper efficace qui me fait penser à Benassi Bross sur I'm addicted de Madonna. Je ne pense malheureusement pas que Laurent Boutonat serait capable de ça. Malgré une économie de vocabulaire depuis quelques années, le texte est pas mal, parfois surprenant. « J'ai connu des putains de ténèbres, et des retenues, des enfers qui brûlent lèvres »
N'OUBLIE PAS (avec LP) (LP et Mike Del Rio)
À l'annonce d'un duo en deuxième single, j'espérais très très très fort que ce soit avec LP. Cette chanteuse me bouleverse, ses voix me rendent fous (écoutez sa reprise de Halo de Beyonce en live...), ses mélodies m'enchantent et les compos de son dernier album me transcendent. Certain que le titre et le succès seront énormes, je suis tout excité quand Pascal Nègre confirme. J'aime beaucoup ce titre dont le clip signe le retour de Boutonnat derrière la caméra, mai la compo est des plus banales et le grand public s'en fout...
HISTOIRES DE FESSES (Feder)
WTF ce titre ?
WTF comment peut-on avoir écrit Je t'aime mélancolie, Sans logique ou Point de suture et écrire « les pâtes au sel, les pâtes au sel, j'aime ! » ?!
WTF une minute cinquante-sept ?
WTF ce rire qui sonne faux à la fin ?!
WTF cette voix si grave sur les couplets qu'une amie me dit « mais qui chante avec elle ? J'entends une voix d'homme »
Tout simplement parce qu'avec 57 ans au compteur et une des plus impressionnantes carrières de la chanson française, Mylène Farmer fait ce qu'elle veut et elle s'amuse ! Moi qui espérais qu'elle bosse aussi avec Stromaë, je suis servi avec ce titre déroutant qui lui ressemble tant ! À chaque écoute, je me dis « elle est folle, cette fille ! » le sourire jusqu'aux oreilles.
GET UP GIRL (Feder)
Beaucoup semblent aimer, voire adorer. J'aime le son, qui me rappelle pourquoi American Life est mon album préféré de Madonna, mais je ne suis pas fan de la mélodie et du niveau des paroles.
PRIÈRE (Feder)
Je change de vinyle, on se regarde, se demande si la vitesse de lecture est la bonne, s'ils ne se sont pas trompé de disque mais, au bout de trente secondes d'un mélange d'électro-blues avec d'étranges chœurs qui me font penser à certains titres du génial Burning Spider de Parov Stelar (avec qui j'adorerais que Mylène travaille), elle se met à chanter « comment te dire ma réalité ».
Je regarde la plaine les yeux grand ouverts, interloqué, répétant en boucle dans ma tête « oh putain, ça y est, elle l'a fait ! Exactement ce que j'attendais d'elle ! » mais quand arrive le refrain, tout retombe comme un soufflé. Il me faudra l'écouter à fond dans la voiture pour me rendre compte que si, si, cette chanson est une tuerie, que Feder a tout compris, que Mylène n'a plus peur de décevoir et de faire ce qu'elle veut. Ce morceau me transcende, je n'ose imaginer le potentiel scénique et ne comprends pas que Moby n'ait pas composé ça à la place de la soupe de Bleu noir (critique ici).
AU LECTEUR (Feder)
Deuxième mise en musique de Baudelaire, trente ans après la magistrale Horloge (Boutonnat était alors un génie). J'avais peur de ce que pouvait faire un DJ là-dessus, mais après les précédents morceaux, il faut se rendre à l'évidence : Feder n'est pas un DJ, mais un compositeur et musicien de talent. Je m'attendais à ce que la musique monte progressivement pour finir en électro expérimental mais il accompagne sobrement la voie grave de Mylène qui lit divinement ce sombre texte.
« Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas !, n'est pas assez hardie. »
DES LARMES (LP et Mike Del Rio)
La musique commence et mes yeux s'ouvrent un peu plus, le regard fixé sur la platine. Le couplet commence et ma bouche s'entrouvre devant la mélodie et le phrasé. Le pont commence et ma mâchoire se décroche, on dirait Janet Jackson période All for you. Le refrain commence et je me fige. Je m'attendais à quelque chose d'un peu rock avec des cordes et une touche d'électro et, là, je suis parcouru par quelque chose d'indéfinissable. Mylène n'a jamais chanté comme ça, j'ai l'impression de découvrir quelque chose d'aussi surprenant que l'ont sans doute été à l'époque Je t'aime mélancolie, California ou L'instant X. Le vocabulaire n'est toujours pas au niveau d'avant, mais le texte est beau et l'ensemble extrêmement bien produit. Ce titre, je ne m'y attendais pas du tout et c'est une tuerie. S'il ne reste qu'un single à sortir, c'est indéniablement celui-ci.
PARLER D'AVENIR (Léon Deutschmann et Mylène Farmer)
Autre titre qui revenait souvent parmi les préférés des fans, la prétendue deuxième tuerie de l'album est aussi loin d'être un mauvais titre qu'un tube. Arrivé au refrain, j'ai cru que c'était le pont et quand le deuxième couplet a commencé j'ai compris que le tempo resterait au même niveau pendant trois minutes. Semblable à Appelle mon numéro, en plus sympa, du Boutonnat moderne quoi, avec un texte assez pauvre. Le phrasé et la mélodie des couplets me font aussi penser aux couplets de La première fois de Tryo et les Ogres de Barback.
ON A BESOIN D'Y CROIRE (Feder et Mylène Farmer)
Pour sa dernière composition de l'album, feder nous a concocté un XXL 2.0 à la mélodie RnB-sante et à la production bien léchée. C'est agréable, entraînant, positif, ça ressemble à Des larmes pour le côté moderne et addictif et la manière de chanter.
RETENIR L'EAU (Léon Deutschmann)
Il fallait bien clôturer l'album par l'habituelle balade lacrymale et c'est le jeune Léon qui s'y colle. Il se rapproche là encore des productions de Boutonnat, musique minimaliste pour accompagner des aigus au bord de la fêlure dans une tension mélancolique mais l’ensemble manque de puissance et n'égale pas Point de suture, Ainsi soit je ou même Un jour ou l'autre sur le précédent album. Il ne s'est pas foulé.
Après ce long compte-rendu, vous aurez compris que, même en restant critique et réaliste, je suis très agréablement surpris par, que dis-je ! complètement fan de ce onzième album, premier des ventes sur Itunes en un quart d'heure et douzième mondiale en une journée.
Après avoir tourné en rond pendant quelques années, Mylène Farmer a su s'entourer pour proposer du Farmer ancré dans le vingt-et-unième siècle. C'est déroutant, c'est parfois osé, un peu convenu d'autres fois mais subjectivement et objectivement, je crois que ça faisait bien longtemps que la star n'avait pas proposé un vrai bon album, sur lequel elle semble en plus s'être amusée. La voix est plus posée, plus maîtrisée, tant dans les graves que les aigus (hormis les traditionnelles fêlures sur la balade Retenir l'eau), les chœurs sont addictifs, les compositions modernes et entêtantes. L'ensemble est original et, malgré des ambiances et des sons différents, je trouve l'album homogène. Dans les écouteurs ou fort en voiture, c'est un bonheur. Sur la scène de l'U-Arena de Paris La Défense en juin prochain (mise en vente de la billeterie le samedi 13 octobre à 10h ici et le lundi 15 dans les circuits habituels), ça promet d'être exceptionnel !
Mylène Farmer a enfin désobéi et Dieu que c'est bon !
Et vous, que pensez-vous de ce retour ?!