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Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l'apocalypse, recueil critique, Grasset, août 2011, 430 pages, 20 € ****

Publié le par Sébastien Almira

 

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De Frédéric Beigbeder, je n'avais lu que 99 Frs, dont la prouesse de Jan Kounen fut de réaliser une adaptation à la hauteur du livre, et Windows on the world, qui m'avait déçu par la trop forte présence de l'auteur dans son récit. Je dois avoir deux ou trois autres de ses livres sur mes étagères mais, jusqu'à la semaine dernière, je n'avais pas plus envie d'en ouvrir un.

Lorsque j'ai eu connaissance de son nouvel ouvrage, Premier bilan après l'apocalypse, je n'ai pu qu'être conquis. Libraire, anti-numérique avéré et adepte des listes et classements en tout genre (on a tous quelques préoccupations futiles), voilà une semaine que je dévore les 430 pages de critiques de ses cent livres préférés. À l'heure du livre numérique, le trublion de la littérature française s'est mis en tête d'écrire la critique des cent livres du vingtième siècle à sauver et à lire avant la disparition du livre papier.

 

 

Premier bilan après l'apocalypse est une dissertation dont le sujet pourrait être : « À l'ère du numérique, le livre papier est-il toujours un objet contemporain ou son usage devient-il dérisoire et inutile ? ». Ici la thèse se suffit à elle-même, Beigbeder n'a pas pris la peine de nous livre antithèse ni synthèse. Ces cent romans suffisent à défendre la survie du livre papier. Nul besoin de démontrer que le numérique est nuisible, inutile et anti-littéraire. L'importance des cent livres choisis suffit à rendre une copie parfaite. En introduction, Beigbeder nous livre ses pensées dans une prose sensible mais virulente :

 

« Les livres sont des tigres de papier, aux dents de carton, des fauves fatigués, sur le point de se laisser dévorer. Pourquoi s'abstenir à lire sur un objet pareil ? Des feuilles fragiles, inflammables, reliées, imprimées, sans batterie électronique? Tu es obsolète, ô vieux livre bientôt jauni, nid à poussière, cauchemar des déménageurs, ralentisseur de temps, usine à silence. »

« Il faut se souvenir de l'acte admirable qui consistait à fureter dans les librairies, à flâner devant les vitrines, à désirer un livre sans l'obtenir tout de suite. Un roman se méritait : tant qu'il n'était pas disponible en ligne, il exigeait de nous des efforts physiques. Il fallait sortir de chez soi pour aller le choisir dans un lieu rempli de rêveurs esseulés, puis faire la queue pour l'acheter, se forcer à sourire à des inconnus atteints de la même maladie, avant de le transporter dans ses mains ou sa poche jusqu'à son domicile, en métro, ou sur la plage. Le roman de papier était ce tour de magie capable de changer un asocial en mondain, puis à nouveau en anachorète, en le contraignant à rester un instant coincé face à lui-même. »

 

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La longue liste nous permet de connaître les goûts de l'auteur (souvent les mêmes, il convient de le remarquer : grand roman d'initiation américains, roman (américain si possible) dénonçant les déboires de la société, ouvrage littéraire érotique ou pornographique et journal d'auteurs gays) et de faire quelques découvertes. Des auteurs inconnus ou méconnus en France (Christian Kraht, Alain Pacadis, Ned Rorem, Mathieu Terence, etc), des livres dont on avait vaguement entendu parler sans s'être demandé de quoi il s'agissait (Les Couleurs de l'infâmie de Cossery, Disgrâce de Coetzee, Tropiques du Cancer de Miller, Le Maître et Marguerite de Boulgakof, en ce qui me concerne), d'autres qu'on ne souhaitait pas forcément lire (American Psycho d'Ellis, Les bienveillantes de Littell, Je m'en vais d'Echenoz, toujours pour ma part), etc.

 

La force de Frédéric Beigbeder est de ne pas souvent nous laisser le choix. On finit souvent une critique en se disant « Comment diable ai-je fait pour passer à côté de ce livre ?! » et pas « Tiens, c'est bizarre, il a adoré ce livre alors qu'il ne me tente pas du tout ! ». Forcément, je grossis un peu le trait, on n'est pas toujours absolument d'accord avec lui. Mais il essaie d'écrire ses critiques de sorte qu'on ne puisse penser autrement que comme lui, justement.

Sur American Psycho de Bret Easton Ellis : « en 1991, personne ne s'attendait à une déflagration pareille (…) on ne pouvait pas imaginer que Bret Easton Ellis était capable d'accoucher d'un monstre aussi radical (…) American Psycho est le meilleur roman du XXe siècle car il a digéré tous les autres ».

Le problème, c'est que chaque roman semble être son préféré, celui qui a le plus changé sa vie, celui qui l'a le plus influencé, celui qu'il a le plus relu, celui qui, celui qui. Ceux-là, je ne les compte plus.

 

Les dix critères de Frédéric Beigbeder pour aimer un livre :


1. Tronche de l'auteur (attitude ou manière de s'habiller)

2. Drôlerie (un point par éclat de rire)

3. Vie privée de l'auteur (par exemple, un bon point s'il s'est suicidé jeune)

4. Émotion (un point par larme versée)

5. Charme, grâce, mystère (quand tu te dis "Oh la la comme c'est beau" sans être capable d'expliquer pourquoi)

6. Présence d'aphorisme qui tuent, de paragraphes que j'ai envie de noter, voire de retenir par coeur (un point par citation produisant un effet sur les femmes)

7. Concision (un point supplémentaire si le livre fait moins de 150 pages)

8. Snobisme, arrogance (un bon point si l'auteur est un mythe obscur, deux s'il parle de gens que je ne connais pas, trois si l'action se déroule dans des lieux où il est impossible d'entrer)

9. Méchanceté, agacement, colère, éruptions cutanées (un point si j'ai ressenti l'envie de jeter le bouquin par la fenêtre)

10. Érotisme, sensualité de la prose (un point en cas d'érection, deux en cas d'orgasme sans les mains).

 

 

 

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Ce livre est également l'occasion de noter pas mal de citations, de Beigbeder (qu'elles soient poétiques, sensibles, cyniques ou terriblement réalistes) ou des auteurs choisis, que je me fais un plaisir de partager avec vous :

« Un livre ne devient culte que pour des raisons étrangères au texte : il faut un tirage confidentiel, un auteur méconnu (si possible décédé), un éditeur introuvable et un sujet élitiste. »

« Vers la fin du XXe siècle, on publiait deux sortes de romans : soit l'histoire d'une femme de trente ans qui cherchait un mec, soit celle d'un homme détraqué qui tuait des gens. La grande idée de Régis Jauffret consista à fournir les deux d'un coup. » sur Clémence Picot de Régis Jauffret.

« Si les riches ne sont pas heureux, c'est que le bonheur n'existe pas. » Lolita Pille, Hell.

« Un grand romancier, c'est quelqu'un qui vous fournit des méthodes de drague qui fonctionnent» F. Beigbeder a expérimenté celle de J. M. Coetzee et ça fonctionne !

« J'ai toujours cru que Patrick Modiano écrivait toujours le même livre ; en réalité il n'en écrivait qu'un seul. » Personnellement, je reste persuadé de la première partie de la phrase.

« Les écrivains sont obscènes ; s'ils ne l'étaient pas, ils seraient comptables, conducteurs de train, téléphonistes, ils seraient respectables. » Amélie Nothomb, Hygiène de l'assassin.

« Ceux qui pensent qu'on ne doit pas lire Vian après 25 ans vont devoir aussi prévenir tous leurs amis d'éviter les excréments de Rabelais, les farces lourdes de Molière, les absurdités d'Ionesco, l'argot vulgaire de Céline (…). C'est déjà pénible d'être vieux, je trouve que ce ne serait pas très gentil d'obliger les personnes âgées à ne lire que du Richard Millet. »

« Si l'art respecte la loi, il ne raconte rien d'intéressant. » à propos de Gabriel Matzneff.

« On peut lire Guillaume Dustan sans être gay, Toni Morrison sans être noir, D'Ormesson sans être académicien et Bernard Franck sans être tastevin. »

« Perec est l'écrivain le plus éclectique de ce siècle : il ne s'est jamais répété. »

« Lire sans être capable d'admirer ses contemporains, quelle perte de temps ! »

 

 

Même s'il emploie le ton satisfait, cynique et désabusé de ses romans, Premier bilan après l'apocalypse ne leur ressemble pas. Il se lit comme un ensemble de critiques de petits ou grands romans du vingtième siècle et non comme un roman de Beigbeder, ce qui pourrait en déranger plus d'un. Avec humour, poésie et férocité, il dresse la liste des cent livres que nous devons lire avant qu'il n'y en ai plus. En ce qui me concerne, ce sera une trentaine, et c'est déjà pas mal !

Ce n'est pas un ouvrage indispensable mais tout de même bien utile pour découvrir de nouveaux horizons, comme quoi il n'y a pas que les classiques dans la vie ! La préface à elle-seule mérite le détour ! Pour terminer, un petit message d'espoir, ne temps de numérisation et de dépersonnification de la littérature et de la société.

 

Mario Vargas Llosa, lors de son discours de réception du Prix Nobel de littérature 2010 :

« Nous devons continuer à rêver, à lire et à écrire, car c'est la façon la plus efficace que nous ayons trouvée de soulager notre condition périssable, de triompher de l'usure du temps et de rendre possible l'impossible. »

 

 

Un grand merci aux éditions Grasset pour l'envoi de ce livre !

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K
<br /> Moi je continue à penser qu'il peut y avoir du livre numérique ET du livre papier. Moi aussi je veux toujours du papier, je conçois pas d'avoir un chez-moi sans bibliothèque, ni d'offrir un fichier<br /> à un de mes amis ou à mes nièces, ni d'acheter tous mes livres sur internet. Donc je continuerai à acheter du papier, en librairie, et heureusement, comme tu le dis, je suis pas la seule.<br /> D'un autre côté, si je peux sortir de chez moi avec plusieurs livres sans avoir 1500 pages dans mon sac, partir en train en étant sûre d'avoir toujours de la lecture et me procurer des textes que<br /> je trouverais jamais en librairie, et en plus gratuitement, je suis également absolument pour et je suis aussi sûre de pas être la seule.<br /> Faut arrêter de croire que le grand monstre numérique va détruire toutes les anciennes pratiques. Et surtout, le meilleur moyen que ça arrive pas, c'est certainement pas de tenter de l'anéantir<br /> (youhou, c'est trop tard, toute façon), c'est de voir comment il peut servir la lecture, les lecteurs et tous les acteurs du monde du livre.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Et beh on verra dans dixans, dans vingt ans comment ce sera, et on en reparlera ma petite Karen !<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Mais dans quelle mesure le fait que le numérique puisse un jour dépasser le papier te permet de dire que le premier est inutile et anti-littéraire ?<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Parce que la littérature, c'est le livre papier, et pis c'est tout !<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Tu crois que c'est aussi simple de répondre en faisant l'analogie entre deux marchés certes culturels mais différents ? (Voir le point B.2.a) de cette étude : "Le marché potentiel des tablettes de<br /> lecture est donc, par nature, bien plus restreint que celui des baladeurs MP3.") Tu réponds pas du tout à ma question.<br /> Sur le point du nuisible, je veux bien te l'accorder, même si ce n'est pas encore le cas chez nous (les ventes de livres papier sont certes en baisse, mais les ventes de numérique en France ne sont<br /> pas encore assez significatives pour qu'elles soient incriminées).<br /> Pour contrer l'"inutile", je dirais que, quand même, grâce au numérique, des textes épuisés vont être à nouveau accessible, leur pérennité est assurée, les textes libres de droit sont pour la<br /> plupart gratuits (alors que, justement je suis bien placée pour le savoir, la fabrication d'un bon livre numérique, ça représente un coût et du temps).<br /> Enfin, anti-littéraire, je ne crois pas non plus. Il me semble que la création est mise à mal en raison du coût de fabrication difficilement remboursé par les ventes. En numérique, les coûts sont<br /> réduits, ce qui permet à des maisons de pouvoir prendre le risque de publier un texte qui lui tient à coeur. Et je parle bien de maison d'édition, donc de sélection de texte, de travail sur<br /> celui-ci, de correction, d'élaboration de maquette, de politique éditoriale.<br /> Alors vraiment, je te comprends pas. Et évidemment, ça m'fait un peu chier qu'on crache sur ce que je fais tous les jours avec conviction sans arguments développés. Et pourtant je comprends très<br /> bien qu'on soit contre le numérique, j'ai jamais cherché à rallier tout le monde à ma cause.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Pour l'instant. Parce qu'une tablette numérique, c'est cher. Et parce qu'heureusement, beaucoup de personnes pensent encore comme Frédéric Beigbeder et moi.<br /> <br /> <br /> Mais quand une tablette vaudra le prix d'un lecteur MP3, le marché se développera de façon exponentielle et les fichiers envahiront le net. Sur le marché légal et sur le marché illégal.<br /> <br /> <br /> Et là, moi je devrai fermer boutique. Ou me reconvertir en boulanger, parce que la baguette, on ne risque pas de la télécharger illégalement !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Et puis, moi, j'veux du livre papier, du vrai ! Du livre qu'on peut toucher, regarder, feuilleter, sentir, en librairie, s'extasier devant sa couverture, critiquer les bons romans d'Amélie<br /> Nothomb parce qu'ils sont courts et chers, acheter un livre, l'emmener sur la plage ou dans le bus, etc. Je ne peux et ne veux pas faire tout ça avace une tablette numérique.<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> "Nul besoin de démontrer que le numérique est nuisible, inutile et anti-littéraire." Pardon, mais j'aurais moi besoin de cette démonstration. J'crois que t'as jamais écrit un truc qui m'ait plus<br /> troué le cul.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Je sais qu'il s'agit de ton gagne-pain, mais tu connais mon avis sur la question du numérique. Veux-tu les chiffres de la baisse du marché du disque depuis qu'on peut télécharger des fichiers<br /> moins lourds, moins encombrants, moins chers, donc plus pratiques ? Depuis donc que les gens ne payent plus pour avoir ce qu'ils étaient forcés de payer auparavant ?<br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> Je suis littéralement bluffée par Beigbeder, sur ce coup là. N'ayant lu que "L'Amour dure trois ans" (que j'ai plus retenu pour ses quelques aphorismes que pour l'histoire en elle même ...) ; il<br /> est difficile de voir Beigbeder autrement que sous son masque de provocation perpétuelle. Mais là, cette grande anthologie a l'air vraiment intéressante, non seulement parce que (si je suis ta<br /> critique) FB s'est départi de sa vulgarité un peu rapide, mais aussi parce qu'il donne l'occasion de découvrir un autre monde littéraire à travers ses yeux. Pourquoi pas l'acheter, donc ? :)<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Il y a toujours un peu de provoc (mais pas de vulgarité), notemment dans le choix de ces cent livres, mais l'ouvrage vaut vraiment le détour !<br /> <br /> <br /> <br />