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Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme, roman, 250 pages, Gallimard, août 2010, 17,90 € *

Publié le par Sébastien Almira

ferrier

 

Cette année, je commencerai mes critiques de la rentrée littéraire sur une mauvaise surprise.

 

Michaël Ferrier est publié dans la collection L'Infini. Il est à la hauteur de son éditeur, Philippe Sollers et publie son huitième livre, son septième sur le Japon. C'est le titre qui m'a interpellé, puisque ce service de presse  ne comportait pas de résumé. Et je me rends compte, encore une fois, qu'une bonne accroche peut cacher un fastidieux moment à passer et a contrario qu'une accroche calamiteuse peut révéler une surprise de taille. L'accroche était malheureusement réussie...

 

Ah ! Les trois petits points ! C'est que Michaël Ferrier les aime, ses petits points. Je ne les compte plus, je m'y perds, comme dans le siphon de cette lecture qui m'entraîne dans L'Infini de l'ennui.

Mes yeux se cramponnent à chaque ligne sans comprendre d'où vient ce style un peu trop riche en inconnu et en constructions inventées de toute pièces ou empruntées à des temps où il faisait bon montrer sa science des lettres. L'ensemble, qui voudrait donner un genre à cet auteur qui rêve d'infini et voudrait être considéré comme un incompris de cette langue française barbarisée par le temps, est fragilisé par un jeu plus qu'enfantin forçant l'incompris à user de petits points dans la quasi totalité de ses phrases.

 

"Société des ombres... société qui mange les corps... La télé mange et vous recrache... Vous êtes atomisé en plusieurs milliers de facettes... myriade de myriades... on vous fabrique un nouveau corps... plus beau, plus propre, plus parfait que l'autre." (page 26)

"Quand un joueur de djembé est interviewé, on place des sous-titres... Le reste se noie dans un sirop d'images touristiques... le vide, le rien... le pourtour chatoyant du noir absolu..." (page 30)

 

Michaël est l'auteur, le narrateur et le héros de Sympathie pour le fantôme. Michaël a un égo surdimensionné. Rendez-vous compte, au Japon il "enseigne à l'Université du Centre... l'Impériale, la prestigieuse". Mais Michaël ne se contente pas de ça, non, notre homme travaille également à la télévision, à la radio, dans la presse et pour une grande entreprise de communication.

Yuko fait bander Michaël, mais Michaël Ferrier n'ose pas l'écrire. Ça ferait tâche au milieu de ses beaux mots.

Yuko présente la cultissime émission Tokyo Time Table.

Yuko a du pouvoir.

Michaël n'aime pas l'image que l'on veut donner de la France à la télévision japonaise.

Yuko fait bander Michaël et lui propose d'écrire avec elle une émission où l'on montrerait la vraie France, celle qu'il s'évertue à montrer dans ses articles, celle qui sent bon.


tokyo.jpg

 

Après un point de départ plein d'espoirs, notre héros entreprend de raconter l'histoire de trois grands oubliés de l'Histoire afin de les réhabiliter et de montrer aux Japonais et au monde que l'Histoire de la France s'est construite avec des gens plus ou moins recommandables.

Il commence avec Ambroise Vollard, marchand d'art réunionnais à Paris, écrivain à qui l'on doit la suite d'Ubu Roi et nombres de monographies (Renoir, Cézanne, Degas) et découvreur de Cézanne, Van Gogh et Picasso.

Jeanne Duval prend la suite. La "prostituée hystérique, moitié actrice, moitié nymphomane" fut l'une des maîtresses et inspiratrices de Baudelaire.

Enfin, il raconte l'histoire d'un esclave noir qui découvre à douze ans ce qu'aucun scientifique ne parvenait à faire : la fécondation artificielle de la vanille (jusque là, il fallait la présence de l'abeille du Mexique pour mettre en relation l'organe mâle et l'organe femelle de la plante pour en tirer une gousse de vanille.

 

Même si l'on peut émettre quelques doutes sur les choix de ces personnes pour narrer l'Histoire de la France, le principe est toutefois intéressant. L'ennui, c'est le reste. Tout le reste.

Les petits points incessants.

Les phrases alambiquées, pompeuses à souhait, pleines de proverbes, de préceptes, de vérités générales ridicules ("c'est logique, alambic", "Mieux vaut l'art que jamais !", etc.).

Les tentatives de roman philosophique qui tournent au vinaigre. On se perd dans les méandres d'une philosophie de gare paradoxalement incompréhensible qui se voudrait la plus grande, la plus vraie.

Le héros aussi présomptueux que l'auteur, lui-même aussi présomptueux que l'éditeur. "Oui, Jeanne Duval, je te redonne ton nom, afin que la France sache tout ce qu'elle te doit". Il est le sauveur de l'humanité, celui que tout le monde attendait pour se rendre compte qu'une prostituée est capable d'inspirer les plus grands poètes. Il parle d'ailleurs de le montrer à la France, non pas aux Japonais. Alors qui du protagoniste ou de l'auteur parle vraiment ? Qui cherche la reconnaissance ?

 

"Tokyo, Paris, Bordeaux, Saint-Malo, La Réunion, Maurice, l'océan Indien, 1999, 1868, 1929... Je vous écris de partout, par le fait. Narrateur sous-marin. Je passe sous le naufrage du siècle, je vais remonter là-bas, très loin, très haut. Dans un hors-champs. Sortir du film de notre époque, passer fantôme... Il faut savoir suivre les spectres : ils sont notre rose des vents, notre boussole." (page 239)

 

Et vous, lecteurs, passez votre chemin, passez sous le naufrage du siècle et lisez du bon, du vrai !

 

ferrier

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